Lorsque le Mali et ses partenaires de l’Alliance des États du Sahel (AES) affirment reprendre le contrôle de leur destin, la sortie de l’Union africaine (UA) appelant à « une intervention internationale » a de quoi surprendre. Cette posture, qui semble renouer avec une longue tradition de tutelle extérieure, soulève une question fondamentale : pourquoi, plus de soixante ans après les indépendances, l’Afrique peine-t-elle encore à résoudre seule ses crises ?
Une souveraineté politique toujours inachevée
Les indépendances africaines des années 1960 ont été perçues comme la fin du joug colonial. Pourtant, dans les faits, la plupart des jeunes États sont nés dans une dépendance structurelle vis-à-vis de leurs anciennes métropoles. Les accords de coopération, souvent signés dès les premières années, ont maintenu un lien étroit économique, militaire et institutionnel entre l’Afrique et l’Occident.
La France, le Royaume-Uni ou encore les États-Unis ont conservé des leviers d’influence considérables, notamment à travers l’aide au développement, la formation des élites, ou la présence militaire. Ces relations asymétriques ont progressivement façonné des États dont la sécurité et les décisions stratégiques dépendaient largement d’acteurs extérieurs.
L’Union africaine, entre ambition continentale et impuissance structurelle
Créée en 2002 en remplacement de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’Union africaine se voulait un instrument de souveraineté partagée et de sécurité collective. Mais plus de vingt ans plus tard, l’organisation peine à incarner ce rôle. Ses décisions, souvent influencées par les bailleurs internationaux, traduisent une dépendance financière chronique : près de 60 % de son budget de fonctionnement provient encore de contributions extérieures, notamment de l’Union européenne.
Cette dépendance limite son autonomie diplomatique. D’où des positions ambivalentes sur des crises comme celles du Mali, du Niger ou du Burkina Faso, où les régimes militaires, bien qu’issus de ruptures politiques, revendiquent un agenda de souveraineté.
Le cas du Sahel : rupture ou continuité ?
L’Alliance des États du Sahel, regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, s’est construite sur un rejet explicite des ingérences étrangères et une volonté de bâtir une sécurité « endogène ». Pour ces pays, la lutte contre le terrorisme et la reconstruction de l’État ne peuvent plus être dictées depuis Paris, Washington ou Addis-Abeba.
Leur rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et leur méfiance envers l’Union africaine traduisent un tournant géopolitique : celui d’une Afrique de l’intérieur, qui entend penser ses solutions selon ses réalités, loin des schémas d’assistance et des agendas extérieurs.
Le poids des élites et des paradigmes hérités
Mais la dépendance africaine n’est pas qu’institutionnelle ; elle est aussi intellectuelle et politique. Les modèles de gouvernance, les systèmes éducatifs et les logiques économiques restent en grande partie calqués sur des références occidentales. Les élites formées à l’étranger reproduisent souvent les schémas de dépendance qu’elles prétendent combattre.
Cette fracture entre discours souverainiste et pratiques dépendantes empêche l’émergence d’un véritable modèle africain autonome.
Vers une réinvention nécessaire de la coopération africaine
Pour rompre ce cercle, il ne s’agit pas de rejeter toute coopération internationale, mais d’en redéfinir les termes. L’Afrique doit construire des institutions véritablement indépendantes, capables de financer leurs propres priorités, et de répondre aux crises selon des logiques locales plutôt que dictées par des acteurs extérieurs.
L’Union africaine, si elle veut redevenir légitime, devra renouer avec l’esprit de l’OUA originelle : celui d’une solidarité politique et économique fondée sur la dignité et la souveraineté des peuples africains.
Soixante ans après les indépendances, la question n’est plus de savoir si l’Afrique doit coopérer avec le reste du monde, mais comment elle peut le faire sans se soumettre. L’appel à une « intervention internationale » dans les affaires du continent rappelle que la décolonisation, en réalité, reste un chantier inachevé.
